Et son ombre recueille une sélection de textes sur les sœurs Brontë ainsi que sur quelques autres auteurs britanniques. Pratiquement tous proviennent du forum The Inn at Lambton. On peut considérer Et son ombre comme complémentaire au Wanderer of the Moors (site dédié entièrement aux sœurs Brontë) et à Passerelle (sur la littérature britannique en général). Par ailleurs, je tiens à m'excuser de la qualité pas toujours bonne des photographies que je propose de mes voyages en Angleterre, notamment dans le Yorkshire d’où étaient originaires les sœurs Brontë.

Sur les traces d'Anne Brontë

The Inn at Lambton, 22 juin 2013

DEUXIÈME PROMENADE
LA LANDE

« Lorsque le temps était beau et convenable, nous partions en balade dans la lande, descendant dans les petites gorges qui en rompent la monotonie. Les rives et le clapotis des ruisseaux constituaient des trésors de ravissement. Emily, Anne et Branwell avaient coutume de franchir les courants à gué, y plaçant parfois des pierres pour leurs deux autres camarades [c'est-à-dire Charlotte et Ellen Nussey, la narratrice de cet extrait]. Nous prenions un long plaisir à ces endroits – chaque touffe de mousse, chaque fleur, chaque couleur et forme était signalé et apprécié. Emily en particulier témoignait sa jubilation devant toutes ces niches de beauté – pour un temps, sa réserve habituelle disparaissait. Une fois, nous fimes une plus longue promenade vers un endroit qu'Emily et Anne appelaient « La rencontre des eaux ». C'était un petit oasis de gazon vert-émeraude. Quelques larges pierres servirent comme sièges de repos. Assises là, nous étions cachées du reste du monde, rien n'apparaissant à l'horizon sinon des miles et des miles de bruyères, un ciel bleu splendide et un soleil éclatant. Le souffle d'une brise fraiche nous grisa. Nous rîmes et plaisantâmes les unes des autres, puis décidâmes de nous surnommer le quartette. Emily, penchée sur une pierre en forme de dalle, jouait comme une enfant avec les têtards, les faisant nager pour ensuite moraliser sur les forts et les faibles, les braves et les lâches comme elle les poursuivait avec sa main. » 

Ce récit est l'un des rares à offrir une image vivante des sœurs Brontë au sein de cette lande qu'elles chérissaient. Après la mort d'Anne, Charlotte se remémorera comment « les perspectives lointaines faisaient [son] ravissement et quand je regarde autour de moi, elle est là, dans le bleu, les brumes pales, les vagues et les ombres de l'horizon. »  








Emily et Anne Brontë furent particulièrement proches l'une de l'autre au cours de leur adolescence. Les unissaient non seulement un même amour de la lande, des animaux et du jardinage, mais aussi l'imaginaire sous l’impulsion d'Emily à travers Gondal après avoir pris part dans leur enfance au jeu de Glass Town aux côtés de Charlotte et Branwell.

Manifestement, Emily et Anne ne se retrouvaient plus dans un univers où Charlotte et Branwell se délectaient à faire se déchaîner sous un soleil tropical d'Afrique les passions guerrières et sentimentales. D'après le peu qu'il en reste, les aventures imaginées par Emily et Anne sur l'île froide de Gondal dégagent un ton plus concentré, méditatif et grandiloquent – peut-être dans le goût des grands cycles chevaleresques médiévaux comme le Roi Arthur.

À l'image de leurs aînés, Emily et Anne resteront attachés à leur jeu au-delà des années d'adolescence. Anne s'en lassera la première dans son désir de se frotter à la vie de la société – désir que n'éprouvera jamais guère Emily.

Ce serait du reste à la répugnance de cette dernière à vivre éloigné de la lande qu'Anne devrait son premier départ de Haworth pour la pension proche de Roe Head à ses 15 ans, en 1836. Devenue enseignante de l'établissement après y avoir été elle-même élève, Charlotte avait en effet accepté que la moitié de sa rétribution soit de voir une de ses sœurs y être accueillie gratuitement. Mais Emily, qui fut alors la sœur désignée, tomba gravement malade après seulement quelques semaines de séjour, rongée par la nostalgie de la liberté et de ses terrains de promenade – du moins d'après le diagnostic établi par son aînée. 

Quelle que soit la cause réelle de l'infection que contracta Emily, Anne prit alors la place de cette dernière à Roe Head. Au cours des deux années passées aux côtés de Charlotte à Roe Head puis à Dewsbury Moors où la pension déménagera en 1837, on sait qu'elle se révéla une élève studieuse et solitaire – un document subsiste sur un premier prix qu'elle reçut pour bonne conduite. [I]

Jusqu'à ce que la maladie n'entraine à son tour son départ à la fin de l'année 1837 [II], ce séjour fut aussi marqué pour Anne (comme pour Charlotte du reste) par le tourment d'être, selon la doctrine de la prédestination, une âme réprouvée par Dieu. Anne parviendra toutefois à surmonter ses angoisses spirituelles, du moins pour un temps, grâce à un pasteur morave dont elle sollicita les visites, James LaTrobe, qui sut l'ouvrir à une vision plus bienveillante de Dieu à l’égard de ses créatures.

Plus tard, Anne Brontë fera prévaloir dans son œuvre une foi dans un salut universel et non réservé à quelques élus, mais nous sommes encore loin de ce moment de sa vie. Comme nous le relaterons au cours de la prochaine promenade, avant de confier son destin à l'écriture, Anne sera d'abord pendant plusieurs années une « pauvre gouvernante »… [III] 
   
I : Pendant ce temps, Emily quittera à nouveau Haworth pour occuper brièvement un poste d'enseignante dans la ville voisine d'Halifax. De son côté, après avoir eu en 1835 des velléités d'entrer à la Royal Academy de Londres, Branwell voudra prendre son envol dans la vie en 1837 en ouvrant un atelier de peintre-portraitiste à Bradford – après des débuts prometteurs, l'expérience tournera rapidement court.  

II : Charlotte démissionnera de son poste pour la même raison au printemps suivant. 

III : « Pauvre gouvernante » était le premier grade que l'on recevait au sein de The Inn at Lambton. Eh oui ! Moi aussi, j'en suis passé par là...

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