Et son ombre recueille une sélection de textes sur les sœurs Brontë ainsi que sur quelques autres auteurs britanniques. Pratiquement tous proviennent du forum The Inn at Lambton. On peut considérer Et son ombre comme complémentaire au Wanderer of the Moors (site dédié entièrement aux sœurs Brontë) et à Passerelle (sur la littérature britannique en général). Par ailleurs, je tiens à m'excuser de la qualité pas toujours bonne des photographies que je propose de mes voyages en Angleterre, notamment dans le Yorkshire d’où étaient originaires les sœurs Brontë.

Biofiction de série B

The Inn at Lambton, 11 octobre 2013 

Quand j'étais Jane Eyre (Becoming Jane Eyre) est un roman de Sheila Kohler traduit en français en 2011, deux ans après sa parution originale en anglais.

En fait, au lieu de roman, il conviendrait mieux de parler de « biofiction », et en l'occurrence de biofiction d'autofiction puisque Quand j'étais Jane Eyre s'offre comme le récit romancé de la genèse du célèbre roman de Charlotte Brontë. Si ce dernier dénonce la servitude féminine, Sheila Kohler a désiré montrer, en se plaçant en quelque sorte dans sa peau, comment Charlotte Brontë l'endura elle-même.

La démarche de Sheila Kohler paraîtra peut-être insolite à beaucoup en France, mais elle n'est pas nouvelle dans la littérature anglo-saxonne marquée de façon générale par l’entremêlement du réel et de la fantaisie, du vécu et de l'imaginaire, de l'intériorité et de l'extériorité, etc.

Toutefois, Sheila Kohler s'est plu à raconter comment, lorsqu'elle s'est ouverte de son projet à son illustre confrère et compatriote sud-africain, J.M. Coetzee, ce dernier a réagi d'abord de la façon la plus spontanée et brutale.

Peut-être a-t-il surgi subitement dans l'esprit du lauréat du prix Nobel en 2003 l'image de toutes les malheureuses créatures que de telles expériences littéraires avaient déjà généré, toutes ces sœurs Brontë et ces Jane Austen de papier malformées et finissant rapidement leur existence lamentable dans les bacs à livres soldés.  

Ayant dit cela, il serait faux de croire que je rejette par principe ces formes d'investigations psychologiques même s'il faut reconnaître leur caractère particulièrement hasardeux.
  
Dans le genre, j'ai ainsi beaucoup aimé Le Monde infernal de Branwell Brontë de Daphné du Maurier, autrement dit j'ai trouvé convaincant le portrait hypothétique offert par cet ouvrage.

Pour le critique, il n'est certes pas facile d'évaluer la qualité d'une production ne relevant ni du domaine de la licence ni du vérifiable. Il faut tenir compte de la documentation et de la connaissance du cœur humain que l'auteur a témoigné sans qu'il soit possible, même dans le meilleur des cas, de le louer pour avoir été juste, mais seulement (même si c'est déjà beaucoup) pour avoir été judicieux, pertinent, sensible, etc.

Daphné du Maurier l'a été indubitablement avec Le Monde infernal de Branwell Brontë, certes pas Sheila Kohler avec Quand j'étais Jane Eyre qui manque terriblement d'authenticité à tous les niveaux : historique, biographique et psychologique.
  
Mais il serait fastidieux de le mettre en évidence alors que je désirais seulement plaisanter des passages cocasses offerts par cette œuvre un peu à la façon des films de série B. Peut-être faut-il en rendre en partie responsable la traduction, mais il n'en reste pas moins que Quand j'étais Jane Eyre est des plus dispensables pour qui s'intéresse à la personne et à la vie des sœurs Brontë :  

 1) Sur quand Charlotte Brontë était gouvernante : 

« Les deux petits, très mal élevés, ne savaient rien de l’obéissance. N’ayant pas recours à la punition, elle n’avait pour arme que la persévérance et la fermeté. Elle en était réduite à plaquer le petit garçon jusqu’à ce que sa fureur se calme, pour éviter les coups de main et de pied. » (Page 106)

Certains auront l’impression d’avoir déjà lu cela presque mot à mot dans Agnès Grey (d'Anne). 

2) Sur Emily Brontë allant chercher son frère alcoolique Branwell au pub du village : 

« Emily enfile ses gants, ouvre son parapluie et s’aventure dans les rues mouillées avec son chien. » (Page 145)

Entre le presbytère où vivait la famille Brontë et le pub en question, le célèbre Black Bull, il y avait seulement à descendre une ruelle de deux cent mètres de long selon le site viamichelin

3) Sur La Locataire de Wildfell Hall d’Anne Brontë présentée comme :

« L’histoire d’une femme qui finit par quitter son mari vieillissant pour aller vivre avec son enfant dans la propriété d’un homme mystérieux, au passé obscur comme le Mr. Rochester de Charlotte. » (Page 195)

Heureusement par la suite on apprend que La Locataire de Wildfell Hall est bien « l’histoire [d’un] mari alcoolique et de sa malheureuse épouse ». (Page 199) 

4) Sur ces rustres natives du Yorkshire :

« Je suis tellement heureuse que tu m’aies accompagnée », déclare Charlotte à Anne, qui essuie sa bouche graisseuse avec sa serviette et lance : « Pauvre chère Emily. Je regrette qu’elle ne soit pas là. » Charlotte saisit la main de sa benjamine. Elle se souvient de l’infirmière, pieds nus, dévorant son gros os d’agneau et elle sourit : Humber. » (Page 221) 

5) Sur la mort d’Emily Brontë :

« Elle revoit aussi sa chère Emily, chancelant dans l'escalier, une ombre pitoyable vers la fin, tenant à accomplir sa part des tâches domestiques et à nourrir Keeper, qui suivit son cercueil, s'assit sur le banc avec le reste de la famille lors de ses funérailles et qui, depuis, se couche devant sa porte, attend et gémit chaque nuit. » (Pages 244-245)

Si vous n’avez pas tiqué à votre première lecture, relisez en vous figurant que Keeper était de surcroit un très gros chien… 
 
Sheila Kohler : Quand j'étais Jane Eyre, La Table Ronde, 2011 
(Édition originale : Becoming Jane Eyre, 2009).

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