Et son ombre recueille une sélection de textes sur les sœurs Brontë ainsi que sur quelques autres auteurs britanniques. Pratiquement tous proviennent du forum The Inn at Lambton. On peut considérer Et son ombre comme complémentaire au Wanderer of the Moors (site dédié entièrement aux sœurs Brontë) et à Passerelle (sur la littérature britannique en général). Par ailleurs, je tiens à m'excuser de la qualité pas toujours bonne des photographies que je propose de mes voyages en Angleterre, notamment dans le Yorkshire d’où étaient originaires les sœurs Brontë.

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Cime Tempestose in concerto

Classique de la littérature universelle, Les Hauts de Hurlevent ont suscité maintes productions d'origines diverses. Cette rubrique se propose d'en faire découvrir quelques-unes venues de nos voisins transalpins. 

The Inn at Lambton, 1er octobre 2013 

Voici, pour entamer cette rubrique, l'interprétation en concert par Mia Martini de sa reprise de Wuthering Heights de Kate Bush. Morte prématurément à 47 ans en 1995, Mia Martini fut une des grandes vedettes de la chanson italienne dans les années 70 (Minuetto, Piccolo uomo, etc.) – sa sœur, des plus hautes en couleurs, Loredana Berté, en deviendra une à son tour dans les années 80. La reprise de Mia Martini, datant du début des années 80, offre des sonorités plus lentes et âpres que la mélodie originale. Les paroles aussi ont été quelque peu modifiées pour avoir un caractère plus inquiétant que renforce la voix caverneuse de Mia Martini, l'ensemble plongeant ainsi l'auditeur dans une ambiance sépulcrale qu'on peut en définitive trouver davantage dans le ton du roman que la production suave de Kate Bush.

J'ai fait ce que j'ai pu, mais je reconnais sans peine que ma traduction est incertaine à quelques endroits. 


   Nella brughiera, era dolce perdersi tra il verde
       Qu’il était doux de se perdre dans la lande
   Fu la pazzia o la gelosia a infuocare il vento.
       C'est la folie ou la jalousie qui a réveillé le vent
   Non puoi lasciarmi, ma non vedi che ti voglio
       Tu ne peux pas m'abandonner comme ça, tu ne vois pas que je te veux ?
   Ti ho amato, si; ti ho odiato, si
       Je t’ai aimé, oui ; je t’ai haï, oui
   Di notte sognai cime tempestose sopra me
       Une nuit, j’ai rêvé de monts déchaînés au-dessus de moi
   Che sprofondavo sempre più,
       Et que je sombrais de plus en plus
   Sempre più, sempre più, crudele Heathcliff
       Toujours plus, toujours plus, cruel Heathcliff
   Son io Cathy, sono ritornata, lasciami entrare
       C’est moi, Cathy, je suis revenue, laisse-moi entrer
   Apri la finestra, ho freddo.
       Ouvre la fenêtre, j’ai froid
   Heathcliff, son io, Cathy, sono ritornata
       Heathcliff, c’est moi, Cathy, je suis revenue

   Lasciami entrare, apri la finestra, ho freddo.
       Laisse-moi entrer, ouvre la fenêtre, j’ai froid
   C’è solo buio, e solitudine, la tua soglia è gelida
       Je ne trouve qu'obscurité et solitude, l’entrée de ta demeure est glaciale
   Su cime tempestose sto precipitando,
       Je plonge, je me précipite sur les monts déchaînés
   Torno a casa per te Heathcliff
       Je reviens à la maison pour toi, Heathcliff
   Heathcliff, crudele padrone mio
       Heathcliff, mon maître cruel
   Ti portero via con me, da cime tempestose tu volerai
       Je t’emporterai, tu prendras ton envol dans les monts déchaînés
   E si alzeranno sopra te, sempre più, sempre più, crudele Heathcliff,
       Et ils s’élèveront au-dessus de toi, toujours plus, toujours plus, cruel Heathcliff
   Son io, Cathy sono ritornata, lasciami
       C’est moi, Cathy, je suis revenue, laisse-moi
   Entrare, apri la finestra, ho freddo.
       Entrer, ouvre la fenêtre, j’ai froid

   Heathcliff, son io Cathy, sono tornata
       Heathcliff, c’est moi, Cathy, je suis revenue
   Lasciami entrare, apri la finestra, ho freddo.
       Laisse-moi entrer, ouvre la fenêtre, j’ai froid
   E fammi entrare, ho bisogno ancora di te
       Fais-mois entrer, j’ai besoin encore de toi
   E fammi bere dal tuo cuore l’anima
       Laisse-moi m'abreuver,  puisé en ton cœur, de ton âme 
   Guardami, son io, Heathcliff, Cathy
       Regarde-moi, c’est moi, Heathcliff, Cathy
   Heathcliff
   Heathcliff
   Lasciami entrare, apri la finestra, ho freddo
       Laisse-moi entrer, ouvre la fenêtre, j’ai froid
   Heathcliff, Cathy, lasciami entrare ho freddo
       Laisse-moi entrer, ouvre la fenêtre, j’ai froid
   Heathcliff

A fummeti

The Inn at Lambton, 28 octobre 2013


Au giro (dira-t-on) aujourd'hui d'une adaptation en manga du roman d'Emily Brontë dont je n'ai pas trouvé trace de traduction autrement qu'en italien.

Je ne me lancerai pas dans une analyse approfondie de cette production qui m'a paru somme toute assez sobre (ce qui est toujours à louer quant aux sœurs Brontë), mais avec des limites certaines.
 
Pour ne parler que des personnages, ou bien certains manquent tout de bon (Lockwood) ou bien font simple acte de présence (Joseph) ou bien alors sont portraiturés de façon caricaturale (Nelly et ses éternels 45 ans).

J'ai trouvé également Catherine et sa fille un peu superficielles, surtout la première, son inclination au mysticisme étant notamment négligé de façon des plus regrettables.

En fait, parmi tous les protagonistes croqués par Hiromi Iwashita, seul Heathcliff présente de l’épaisseur et parvient à susciter l'émotion lorsque la disparition de Catherine le plonge dans une détresse absolue et un ressentiment implacable.

S'il ne restitue pas la complexité et la richesse de ce qu'Emily Brontë proposa et qu'il cède parfois aux poncifs de son genre, ce manga se révèle cependant nerveux et intense. Il se garde, à la différence de bien d'autres adaptations, de donner une image superbe de Catherine et de Heathcliff et souligne bien comment, au-delà des circonstances, leurs propres insuffisances jouent contre leur union, du moins en ce bas-monde...  

Quelques pages traduites 
(de gauche à droite selon le sens de la lecture au Japon) 

       2) Je t'ai trouvé, esclave ! Allez, dis bonjour         1) Son existence... Sa perte... Le monde 
       à la dame !                                                                     entier est un immense recueil de sou-                                                                                                            venirs!

    Assurément, Catherine témoignait beaucoup d'affection pour Edgard et sa sœur cadette, Isabella Linton qui vivait avec eux... / Toutefois, sa relation semblait celle d'une souveraine absolue avec ses serviteurs.../ Après la tempête trois années auparavant, Catherine donnait l'impression de retrouver peu à peu son sourire longtemps perdu./ Nelly, c'est toi ?/ Mais quelle est cette voix ?/ C'est moi.

       2) J'ai été abandonnée seule dans la                       1) Ne reste pas à traîner par terre !                                                                                                             Lève-toi !
       souffrance et j'en voulais à tout le                             / Père, je vous en prie, j'ai fait tout ce que
       monde, mais maintenant, je te suis                         vous vouliez / Je vais te faire voir, moi !
       reconnaissante, pardonne-moi.                                / Écoutez !

                                                                                                 Et puis, le ciel comme vous le concevez... 
                                                                                                 n'a aucune valeur pour moi et je n'ai  
                                                                                                 aucun désir d'y aller ! Je l'ai presque  
                                                                                                 rejoint, mon ciel... 

Hiromi Iwashita : Cime Tempestose, Ronin Manga, 2012.

In tivù

The Inn at Lambton, 10 novembre 2013 

Poursuite et fin des aventures méconnues d’Emily Brontë en Italie, cette fois pour évoquer l'adaptation de son roman en 2004 par la RAI (organisme public qui regroupe plusieurs chaînes de télévision). « Liberamente tratto » (librement inspirée) des Hauts de Hurlevent, cette production transforme certes l'œuvre sombre et complexe d'Emily Brontë en une pure romance à costumes et rubans. Toutefois, je l'avoue, dans son genre, je l'ai apprécié.

Le parti pris adopté est sensible dès les premières images qui font découvrir une étrange « brughiera » (lande) anglaise puisqu'on l'imaginerait plutôt située au Canada avec ses hauts sapins sous la neige et ses « crags » (groupe de rochers) somptueux dont Heathcliff et Catherine enfants font des châteaux féeriques.

Enfin, Heathcliff et Catherine tels que ces enfants sont appelés dans ce téléfilm, car ils ne ressemblent guère non plus à leur homonyme littéraire. Le premier en particulier, orphelin recueilli par le père de Catherine, se révèle un véritable petit ange alors que le personnage original témoigne dès ses premières années de certains travers.

De la sorte, c'est pleine d'une compassion larmoyante que la servante Nelly, enfin, Helen, se met à relater les malheurs que connaîtront les deux jeunes camarades à cause de Hindley, enfin, Ivory, le frère de Catherine, jaloux de l'affection éprouvée pour Heathcliff par leur père. 

En attendant toutefois, tant que la férule paternelle peut s'exercer, Ivory n'ose guère laisser libre-cours à ses mauvais sentiments, ce qui permet à la tendresse enfantine entre Heathcliff et Catherine de se muer à l'adolescence en amour et en projet de mariage.

Certes, dans le roman, seul Heathcliff nourrit ce rêve que Catherine déçoit en préférant s'unir à leur riche et séduisant voisin, Linton. Toutefois, le vent souffle aussi sur la brughiera et parfois si fort que, comme dans les moors, il en vient aussi à emporter hors de ce monde le père de Catherine avant la célébration des noces prévus par les scénaristes de l'adaptation.

Retrouvant le fil du roman, celle-ci voit ainsi Ivory, qui hérite de Cime Tempestose comme Hindley de Wuthering Heights, obtenir enfin l'occasion de tenir à sa merci le pauvre Heathcliff auquel il ne laisse d'autre alternative ou de quitter le domaine ou bien de devenir son serviteur. 

À l'image du Heathcliff des moors, quoique plus courageusement, le Heathcliff de la brughiera se résigne au second sort et aux humiliations qu'il lui promet – la plus terrible pour lui étant de devoir couper du bois sous la neige et les yeux de sa belle se tenant bien au chaud derrière la fenêtre sans venir accomplir sa part de la corvée au titre de « l'âme unique » qu'ils sont censés partager.

Pire, pendant qu'il témoigne de son côté d'un sens du sacrifice digne d'un saint (il en a des auréoles sous ses bras de chemise), le Heathcliff de la brughiera va voir, comme le Heathcliff des moors, sa Catherine se laisser peu à peu charmer par le beau parti que constitue non loin Linton. 

Mais si dans l'une et l'autre œuvre cette situation décide Heathcliff à fuir loin de la lande, l'adaptation va s'écarter quelque peu à nouveau du roman comme le machiavélique Hivorey, enfin, Ivory, profite de ce coup de théâtre pour faire passer Heathcliff pour mort, mensonge cruel qui précipite la décision de Catherine d'épouser Linton – alors que dans le roman c'est de son propre chef qu'elle accepte la main de ce dernier. 

Enfin passons, comme sur le fait de voir Heathcliff, bel et bien vivant, s'apprêter en attendant à quitter l'Alaska, enfin, l'Angleterre, sur un navire où il s'est fait engager comme marin alors que le roman ne révèle rien de ses tribulations après sa fuite de Wuthering Heights. Ce qui compte, c'est qu'il fasse son retour en Norvège quelques années plus tard fortune faite– de façon mystérieuse comme dans le roman, ouf.

Fortune faite et changé, car Heathcliff revient à Wuthering Heights comme à Cime Tempestose décidé à se venger ! Toutefois, contrairement au Heathcliff des moors, on ne fait pas facilement d’un être aussi bon que le Heathcliff de la brughiera un méchant bien terrible. Il n’y aura guère que ceux qui l’entourent dans l’adaptation pour s’effrayer devant sa façon de couper du bois, non cette fois pour chauffer les pieds d'Ivory, mais passer ses nerfs – et encore pas tout le monde : Nelly, enfin, Helen ne cessera de raconter la suite des événements comme une longue plainte sur le destin... 

Voici le résumé partiel d'une adaptation qui aurait de quoi faire faire la moue aux admirateurs de Jane Eyre, enfin, des Hauts de Hurlevent. Pour ma part, je l'ai déjà mentionné, je l'ai suivie sans déplaisir, au contraire même, en raison de son soin et de son intensité.

Il n'en reste pas moins que l'on peut s'interroger sur l’intérêt de telles productions. La RAI a manifestement voulu s'assurer le succès auprès des amatrices de romance transalpines au détriment de l'esprit profond et perturbant des Hauts de Hurlevent, dépensant des millions pour une œuvre non de prestige mais de gala, à l'image, hélas, de la BBC depuis plusieurs années...

Fabrizio Costa : Cime Tempestose, RAI, 2004.