Et son ombre recueille une sélection de textes sur les sœurs Brontë ainsi que sur quelques autres auteurs britanniques. Pratiquement tous proviennent du forum The Inn at Lambton. On peut considérer Et son ombre comme complémentaire au Wanderer of the Moors (site dédié entièrement aux sœurs Brontë) et à Passerelle (sur la littérature britannique en général). Par ailleurs, je tiens à m'excuser de la qualité pas toujours bonne des photographies que je propose de mes voyages en Angleterre, notamment dans le Yorkshire d’où étaient originaires les sœurs Brontë.

Affichage des articles dont le libellé est 05 - Anne. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est 05 - Anne. Afficher tous les articles

Toile d'araignée

 Intéressée par les questions sociales, Anne Brontë (1820-1849) traita, d'après son propre vécu, de la condition difficile des gouvernantes dans Agnès Grey (1847), puis de l'alcoolisme et de la violence conjugale dans La Locataire de Wildfell Hall (1848).  

Le réalisme et la piété profonde de ces deux romans ont fait d'Anne Brontë un auteur moins populaire que ses sœurs Charlotte et Emily à l’œuvre chargée de passion. Longtemps, elle a été même souvent dépréciée en regard de ces dernières, et ce n'est qu'à partir des années 60 que la critique l'a reconsidérée. 

Toutefois, on peut encore avoir l'occasion d'être agacé par les comparaisons faites à mauvais escient par les amatrices de romance sur des sites comme The Inn at Lambton... 

The Inn at Lambton, 14 juin 2013 

Au vrai,je ne sais si Charlotte Brontë, qui aimait la propreté et l’ordre, n'eut pas été contente pour le coup de voir ce fil [Anne versus ses sœurs] continuer de prendre la poussière au lieu de voir quelqu'un le réactiver ! 

Pour ma part, je suis attristé qu’Anne Brontë ne suscite pas davantage d’intérêt. J'ai le sentiment qu'on ne vient à la lire qu’à la suite de ses deux sœurs, beaucoup éprouvant alors de la déception de ne pas y trouver le même romantisme.  

Une image d'auteur limité et mièvre colle à la peau, ou plutôt aux os, d'Anne Brontë, du moins en France où elle demeure avant tout connu pour le seul Agnès Grey. Or, elle a écrit un second roman, La Locataire de Wildfell Hall, grâce auquel elle a dû finalement sa reconnaissance dans le monde anglo-saxon au début des années 60.  

Loin d'être fade, Anne Brontë a jeté dans son œuvre un regard réaliste et pénétrant sur la société victorienne et ses turpitudes : la domination de classe et de la femme, l'hypocrisie, les ravages de l'alcoolisme, etc. Certes, Anne Brontë laissera insatisfaite les amatrices de romance (dont je ne blâme pas le goût), mais ce n'était pas son intention d'en proposer.  

Il ne faut pas non plus lui reprocher sa piété à mon sens, ne fut-ce que d'un point de vue artistique. C'est elle qui confère à Agnès Grey une touche de poésie vibrante en inscrivant le récit du développement moral et spirituel de l'héroïne d'Anne Brontë dans le cadre d'un parcours qui débute dans un village isolé de l'intérieur du pays avant de se diriger par étapes vers une ville en bord de mer, cette dernière figurant Dieu et la création avec lesquels Agnès Grey, tourmentée, désire être en accord. 

Mon message est loin de faire honneur à Anne Brontë, mais du moins j’aimerais qu’il puisse amener une ou deux personnes à l'approcher autrement, non pour être la petite sœur de ..., mais pour elle-même.

Anne Brontë et so..., sa nouvelle collègue de travail

The Inn at Lambton, 15 juin 2013


Collage fait à partir du volume 17 de Ramna 1/2, Rumiko Takahashi, Glénat, 1998.

Emily French Reversed

Une tentative sans suite, faute de réponse, pour échanger au sujet d'Anne Brontë en anglais.

Books Club, 30 août 2013

First of all, I’m sorry for my poor english but I hope it will be at least as understandable and funny as Emily Brontë’s french (her devoirs de Bruxelles) ! I read Agnes Grey only after Charlotte and Emily’s novels like a lot of people I suppose. This novel touched my heart deeply. From the first page I enjoyed its style which is clear and modest but also poetic with the loving family of Agnes Grey and her desire, however, to leave it to see the world and make something in her life. In my sense, Agnes Grey is more than a naturalistic novel about Victorian society and the harsh condition of governesses. In this respect, Agnes Grey’s view is terrible. Personally, I found remarkable how her view is open to the whole world and includes animals. I also liked Agnes Grey’s self-righteousness. On one hand she’s « sweet and gentle », on the other hand she’s brave and stands firm. She keeps her heart intact in spite of the difficulties and all the sad things of the society and human nature she comes to observe and suffer from – especially women’s fate. Rosalie Murray seems to epitomize this fate with all its tensions that she doesn’t overcome while Agnes Grey gains independence – like her strong mother who is a very interesting character. I had the feeling that the discovery of the world by Agnes Grey was developed with an increasing complexity like the flow of a river from its spring, growing and growing on it path to the sea where Agnes Grey finds not only independence but also love ! Maybe the love-story in Agnes Grey is not « exciting » but it’s deep and true. Well, I’m sincerely sorry for my clumsy expression, but I wanted to share my admiration for Agnes Grey which still seems a little undervaluated and regrettably shadowed by Charlotte and Emily’s works.

Tosh Me

The Inn at Lambton, 7 novembre 2013 

Je voudrais toucher deux mots de l'adaptation, proposée par la BBC en 1996, de La Locataire de Wildfell Hall que j’ai regardé la semaine dernière. Au vrai, je n’en attendais pas grand-chose : je n’ai pas été déçu.

En effet, du roman riche et puissant d'Anne Brontë sur l'alcoolisme et la maltraitance des femmes qui causa un certain scandale à l'époque victorienne, la BBC a fait une romance singulière à la fois sirupeuse et ultra-violente.

La Helen Huntington s'agitant à l'écran ne s'offre qu'en pale reflet de l'héroïne à la fois douce et forte, bruissante d'émotivité, d'Anne Brontë. Peut-être ne peut-on blâmer outre-mesure l'actrice de ses mimiques de téléfilms américains faute d'avoir été des intentions des adaptateurs de mettre en relief, sinon en affichant ici et là des crucifix, la moralité et la piété profondes que son personnage recèle originellement.

De même, pour ne pas décevoir les admiratrices d'aimables gentlemen aussi à l'aise dans les salles de bals que sur les terrains de cricket, la maladresse et la brutalité de Gilbert Markham ont-elles été atténuées, si bien qu'Helen Huntington ne peut se retenir d'échanger un baiser passionné avec lui dès le premier épisode de la série alors qu'ils ne le font jamais dans le roman.

Arthur Huntington lui-même est représenté de façon quelque peu charmante, du moins au début de sa relation avec Helen (dans le roman, il y révèle déjà des côtés inquiétants), car ensuite on le verra se déchaîner dans des scènes outrancières, pour ne pas dire grotesques, une nouvelle fois inventées de toutes pièces comme celle où, au cours d'une partie de chasse, il peinturlure le visage de son fils avec du sang d'animaux abattus.

Toutefois, les auteurs de l'adaptation lui offriront, avant son dernier souffle, un ultime sursaut de conscience qu'il ne témoigne pas chez Anne Brontë qui le laisse ainsi faire face au seul jugement de Dieu de façon dramatique – trop faut-il croire pour les premiers.

Je passerai sur le cas des personnages secondaires du roman puisqu'ils n'apparaissent à l'écran qu'à titre de figurants dans une production qui somme toute ne fait pas du neuf avec du vieux, mais s'offre en traditionnelle fusée à trois étages des succès assurés : premier étage, présenter le réel sans fard ; second étage, le rendre un peu moins dur ; troisième étage, s'en détacher complètement pour atteindre le ciel des happy-ends fumeux. 

Si, en en rajoutant dans une violence qu'on lui avait reproché à son époque, les adaptateurs ont cru rendre hommage à Anne Brontë, en négligeant son propos religieux pour ne pas ennuyer les spectateurs de la nôtre, ils n'ont pas pris garde qu'ils risquaient en définitive d'endosser le même costume que ses premiers censeurs.

The Other One

The Inn at Lambton, 7 décembre 2013 

Je ne sais plus où j'ai relevé cette façon de désigner Anne Brontë pour souligner le dédain dont elle a été longtemps l'objet en regard de ses sœurs avant de susciter quelque considération.

Si l'Angleterre et la France sont réputés pour témoigner d'attitudes contraires devant les choses, notre pays malheureusement n'a pas fait davantage justice à Anne Brontë que son pays d'origine comme je voudrais aujourd'hui en donner une idée au fil du temps d'après notamment mes recherches faites dans les archives numériques de Gallica.

La plus ancienne mention d'Anne Brontë en France dont j'ai retrouvé trace remonte à 1852 et une notice de La Nouvelle biographie universelle publiée sous la direction du Dr Hoefer chez Firmin-Didot. Il convient de signaler qu'à cette époque, seule Charlotte jouissait de la faveur du public :

« BRONTE (Charlotte), ou CURRER-BELL, romancière anglaise, née dans le Cumberland en 1824. Son père était un simple vicaire de campagne. Les sites qui l'entouraient furent la source et l'occasion de son talent. Jane Eyre et Shirley, romans publiés à Londres en 1848 et 1849 sous le pseudonyme de Currer-Bell, firent sensation, et dénotèrent chez leur auteur une grande connaissance du cœur humain, surtout du cœur féminin. 

BRONTE (Anne et Émily), sœurs de la précédente, mortes, Émily le 19 décembre 1848, et Anne le 28 mai 1849, publièrent, sous les pseudonymes d'Acton Bell et d'Ellis : Wuthering Heights et Agnès Grey; Londres, 1850. La mort d'Emily fut surtout regrettable : elle eût surpassé ses deux sœurs. » 

On pourra s'amuser des erreurs multiples (courantes de façon générale dans les dictionnaires à cette époque) de cette notice : les accents, manquant à Brontë, incorrect pour Emily, la date et le lieu de naissance de Charlotte (1816 dans le Yorkshire), la charge occupée par son père (pasteur et non vicaire), etc. On relèvera aussi le fait que La Locataire de Wildfell Hall, le second roman d'Anne Brontë, n'est pas mentionné.  

À son sujet, ce n'est pas grâce à Eugène Montégut quelques années plus tard, en 1857, que le lecteur eut été guère plus instruit. En effet, dans sa longue présentation dans La Revue des Deux Mondes de la biographie de Charlotte Brontë par Elizabeth Gaskell, Eugène Montégut l'évoque seulement comme « un roman d’Acton Bell ». Dans cet article, un esprit chipoteur aurait pu par ailleurs faire son délice de l'orthographe donné au premier effort littéraire d'Anne : 

« Les trois sœurs ne se découragèrent pas : elles avaient publié ensemble leurs poèmes, elles eurent l’idée de publier ensemble un trio de nouvelles dont chacune serait l’œuvre de l’une d’entre elles. Dans cette pensée, Émilie composa Wuthering Heights, Anne Agnès Gray, et Charlotte le Professeur. » 

Si cette erreur fut, pour ainsi dire, rectifiée en 1859 au moment de la traduction d'Agnès Grey, conjointement à Shirley, on trouva malheureusement à en faire une nouvelle en attribuant les deux romans au seul Currer Bell (alias Charlotte Brontë). 

Enfin, passons sur ce qui était sans doute une duperie commerciale et faisons un bond à la fin du XIXe siècle et la mention d'Agnès Grey dans la préface écrite par Téodor de Wyzewa pour sa traduction, la première en date, en 1892, de Watering Heigts d’Émilie Bronté. Non seulement Théodor de Wizĕwa orthographia correctement le premier roman d'Ann Brontè et lui en impartit comme de juste l'autorchip, mais dans son élan, alla jusqu'à en donner une opinion, tout cela dans une seule et même phrase : 

« Anne écrivit l’ennuyeuse histoire d’Agnès Grey. » 

Quelques années plus tard, en 1910, Ernest Dimnet exprimera avec à peine moins de mots un avis similaire (dont les lecteurs outre-Manche purent profiter comme l'ouvrage fut traduit dans leur langue) dans ses Sœurs Brontë

« Ces trois ouvrages étaient Le Professeur, Wuthering Heights, et Agnès Grey. Agnès Grey n’importe guère, et nous n’avons aucun moyen de savoir depuis quand Emily travaillait sur Wuthering Heights. » 

Toutefois, on peut se demander si Ernest Dimnet, pour faire le résumé qui suit d'Agnès Grey, sans se méprendre certes sur son orthographe et son auteur, ne se serait pas mépris par contre de roman tout court : 

« Quelques semaines après Jane Eyre, Agnès Grey, le roman d’Anne (paisible histoire d’une institutrice qui, à la dernière page, finit par épouser le vicaire) et Wuthering Heights, le sombre chef-d’œuvre d’Emily, avaient paru chez Newby. » 

Ensuite, peut-être par crainte d'ennuyer trop le lecteur avec Anne Brontë, Ernest Dimnet se bornera à faire connaître l'existence de La Locataire de Wildfell Hall en mentionnant uniquement son titre. 

Pour dire le peu d’estime que l'on continuait à avoir pour Anne Brontë en France dans ces années-là, même quand il se trouvait un écrivain réputé, en l'occurrence George Moore, pour exprimer son admiration à son égard, certains ne pouvaient s'empêcher d'éprouver quelque perplexité tel René Puaux en 1923 dans le quotidien Le Temps
  
« J'ai signalé dans cette rubrique le renouveau de faveur dont le monde littéraire anglais avait récemment entouré Emily Brontë, l'auteur de Wuthering Heights. M. Moore nous invite à redécouvrir The Tenant of Wildfell Hall et Agnès Grey d'Anne Brontë. Ainsi peu à peu la gloire de Charlotte, l’auteur de Jane Eyre, s’effrite-t-elle au profit de ses sœurs. Elle les aimait tant qu'elle n'en doit éprouver nul chagrin. Mais M. George Moore n'obéit-il pas, en maniant ainsi la pantoufle de cristal, à un certain snobisme fort à la mode en ce temps et qui consiste à dédaigner les grands auteurs que tout le monde reconnaît ou reconnaissait comme tels pour se lancer à da recherche des poètes mineurs que personne ne lisait plus ? M. George Moore est un écrivain de grand talent, mais un critique un peu trop fantaisiste pour imposer ses convictions souvent momentanées ; toutefois, il est possible que The Tenant of Wildfell Hall soit un chef-d'œuvre méconnu. Si cet ouvrage n'était pas difficile à trouver en France, les amis de la littérature anglaise auraient plaisir à s'en rendre compte. » 

Surtout si l'on désirait l'y dénicher dans quelque librairie mal famée en se fiant au titre donné par la biographie (« romancée » certes) des sœurs Brontë qu'Émilie et Georges Romieu (mère et fils) firent publiée en feuilleton en 1928 dans Le Temps à nouveau : 

« On est riche maintenant grâce aux revenus de Jane Eyre, de Monts d’orage et d’Agnès Grey ! Et même un deuxième roman d’Anne : Le locataire de Wildfell Hall va paraître. » 

Sans doute s’agit-il encore d'une malheureuse coquille. Par contre, il était faux de la part des auteurs des Coursiers Hélios de raconter que Jeanne d'Arc, Cimes tourmentées et La Fiancée du vicaire avaient apporté la fortune à leurs auteurs. Songez qu'Anne Brontë reçut en tout et pour tout 50 livres pour La Locataire de Wildfell Hall et Charlotte 500 pour Villette, son dernier roman, quand leur père, modeste pasteur, en touchait 400 par an. 

« Difficile à trouver en France », le second roman d'Anne Brontë dut attendre en fait 1938 pour se voir traduit. Je ne sais si René Puaux put alors se rendre compte qu'il s'agissait d'« un chef d’œuvre méconnu ». Pour sa part, l'année suivante, toujours dans Le Temps, à l'occasion de la sortie de la biographie des sœurs Brontë par Robert de Traz, Émile Herriot jugea qu'il n'en était pas un : 

« Les sœurs Brontë : il n’y en a que deux de célèbres, Charlotte l’auteur de Jane Eyre et Villette, et Emily, l’auteur des Hauts de Hurlevent. Une troisième, Anne, a écrit aussi, mais sans éclat, et l’on peut lire d’elle La dame du château de Wildfell. »  

1939 fut une année particulièrement riche en actualités brontëennes puisqu’après la parution en janvier de l'ouvrage de Robert de Traz (qui fut distingué comme Livre du Mois par Le Matin, journal populaire à fort tirage) le mois de mai vit la sortie sur les écrans de l'adaptation des Hauts de Hurlevent par William Willer (occasion d'une première de gala à Paris) avant qu'au milieu de l'été ne paraisse la (pseudo, pardon, psycho)-biographie d'Emily Brontë par Virginia Moore. 

Ailleurs, The Wanderer of the Moors a exprimé tout le mal qu'il pensait de ce dernier ouvrage déjà guère apprécié au moment de sa parution par les critiques littéraires comme celui (anonyme) du Matin qui contesta la « lecture mot à mot des poèmes d'Emily Brontë » opérée par Virginia Moore pour donner une « clef inattendue et scabreuse » au voile de mystère entourant la vie de son sujet, c'est-à-dire, tadam, prétendre qu'Emily Brontë développa, au cours des quelques mois où elle fut institutrice à Halifax, une liaison secrète avec une femme... 

En ce qui nous concerne, nous avons été aussi très fâché contre Virginia Moore pour son mépris affiché à l'égard d'Anne Brontë. Voici un petit florilège : 

« – Anne avait peu à donner, d’abord à cause de son jeune âge et surtout par nature. 
 
– Anne était gentille et passive ; elle n’ajoutait guère au trésor des rêves, mais elle n’était pas un obstacle ; elle ne gênait pas. 

– Là, dans les libres espaces, plus de façons, plus de gêne. Emily, Anne et Branwell, pieds nus, passaient à gué le torrent, traînaient et disposaient des pierres pour que les aînées plus sages pussent passer à sec et c’étaient des rires, des cris de joie, des appels à chaque occasion : touffes de mousse, fleurs, couleurs changeantes, formes belles. Même la petite Anne, avec son air un peu endormi (…), même Anne se réveillait. 

– …aussi tendres qu’émouvants [jugement de Charlotte] les vers insipides [jugement de Virginia Moore] de la petite Anne. » 

Plus tard, en 1964, l'influence des vues (et du style) de Virginia Moore se fera sentir chez Françoise d'Eaubonne dans sa présentation à un recueil de poèmes d'Emily Brontë : 

« Tandis que tous quatre voltigent comme des esprits et des fées sur les pentes couvertes de bruyère, personne au monde ne soupçonne la hiérarchie que ratifiera la postérité : Emily, le génie ; Charlotte, le talent ; Anne, la facilité ; Patrick, la nullité. » 

Dans les pages suivantes, Françoise d'Eaubonne en rajoutera une couche quant au premier roman de la cadette d'une fratrie au dons si mal partagés :

« (…) ainsi que pour la petite Anne dont le mince pipeau baptisé Agnès Grey…» 

Quoique moins forte, la marque d'une certaine condescendance pour cette œuvre se retrouvera encore chez Louis Perche dans Ces étranges sœurs Brontë, paru en 1968 – de façon d'autant plus regrettable que j'ai trouvé cet ouvrage, des plus joliment illustré, de bonne tenue dans l'ensemble. Quoiqu'il en soit, quant à Agnès Grey, Louis Perche le considérait seulement toujours « ''lisible'' pour deux raisons : d’abord par ce qu’ils nous représentent d’une certaine société anglaise de la fin de la première partie du XIXe siècle, et, aussi, ils nous aident à comprendre l’auteur lui-même, cette Anne Brontë si discrète à l’ombre des siens.» 

Heureusement, car on ne pourrait pas en dire autant d'André Téchiné et de son opus biographique, Les Sœurs Brontë, présentée à Cannes en 1979. The Wanderer of the Moors a aussi laissé libre-cours à ses critiques concernant une œuvre qui pourrait disputer à Devotion la palme du film le plus fantaisiste sur les sœurs Brontë (cf. rubrique The Brontë Myth) avec mention spéciale pour la scène où l'on voit Anne découvrir la mer pour la première fois peu avant de mourir alors qu'elle avait déjà eu l'occasion de la contempler à plusieurs reprises dans le passé. Dans cette scène remarquable, on entend aussi Charlotte maugréer son désamour aussi bien de la mer que de la lande alors que, dans la réalité, elles les chérissaient toutes deux. 

Je ne prétends pas être exhaustif sur la manière peu engageante dont on a jugé Anne Brontë en France pendant plus d'un siècle. Toutefois, après le monde anglo-saxon, elle a fini par susciter chez nous davantage de respect et d’attention même si elle souffre assurément toujours quelque peu de sa mauvaise réputation passée chez une partie du public. 

Enfin, pour citer une production témoignant du changement intervenu au sein de la critique française, je signalerai la présentation récente d'Agnès Grey faite par Dominique Jean au sein de La Pléiade en déplorant seulement pour le coup qu’elle n’ait pas été reprise pour l’édition du roman, chez le même éditeur, au sein de la moins coûteuse collection L’imaginaire !

Unpalatable Truth

The Inn at Lambton, 12 décembre 2013

P…, tu fais bien de le souligner, Anne Brontë devait faire aussi face aux préjugés contre les femmes. Elle discuta elle-même de ce problème à la fin de la préface qu'elle écrivit pour la deuxième édition de La Locataire de Wildfell Hall en réponse aux critiques que son roman avait suscité à sa parution. Comme cette préface est brève, je me propose d'en offrir ici une traduction complète – faite en toute modestie bien sûr.

Pour bien comprendre ce texte, il faut savoir qu'Anne Brontë, comme ses sœurs, publiait alors sous des pseudonymes masculins, les spéculations sur l'identité et le sexe des frères Bell (Currer pour Charlotte, Ellis pour Emily et Acton pour Anne) allant bon train toutefois :

« Si je reconnais que le succès du présent ouvrage a été plus grand que ce que je m'attendais, et que d'aimables critiques l’ont loué plus qu’il ne le méritait, je dois aussi admettre que d’autres l’ont blâmé avec une dureté qui m'a surprise, si bien qu'ils m'apparaissent avoir été aiguillonné davantage par leur humeur que par l'équité. Il ne revient guère à l'auteur de réfuter les arguments de ses censeurs et de défendre ses propres productions, mais je crois devoir faire ici quelques observations qui auraient pu constituer une préface à la première édition de ce roman eussé-je prévu des lecteurs à l'esprit partial ou se satisfaisant de leur jugement après une lecture hâtive.  

En écrivant les pages suivantes, mon but ne se bornait pas à amuser le Lecteur ni de me faire plaisir. Pas plus était-il d’entrer dans les bonnes grâces de la Presse et du Grand Public : je désirais dire la vérité, car la vérité communique toujours sa propre morale à ceux capable de la recevoir. Mais comme le trésor sans prix se cache trop souvent au fond d’un puits, quelque courage est nécessaire pour aller le chercher, surtout quand on doit s’attendre au mépris et à la méfiance pour avoir plongé dans l'eau et la boue plutôt qu'à des remerciements pour le joyau qu’on en aura rapporté. De la même façon, celle qui entreprend de faire le ménage dans l’appartement d’un célibataire négligent recevra davantage d’invectives pour la poussière qu’elle soulève que de gratitude pour la propreté en résultant. Ne croyons pas cependant que je me considère moi-même compétent pour réformer les erreurs et les abus de la société. Je désirais seulement apporter une humble contribution à ce dessein louable, et si je puis me faire entendre un tant soit peu par le public, je préfère que cela soit avec de saines vérités plutôt qu'avec de nombreuses inepties. 

De la même façon que je fus accusé avec l’histoire d’Agnès Grey d’en avoir rajouté là où la vérité était reproduite avec le souci de fidélité le plus grand, je me retrouve avec le présent ouvrage blâmé pour dépeindre CON AMORE, « avec un amour morbide de la grossièreté, sinon de la violence », des scènes qui, j’ose l'affirmer, n’ont pas été plus pénibles à lire pour mon critique le plus consciencieux qu’à écrire pour moi. Il se peut que je sois allé trop loin, auquel cas il faudra que je prenne garde dans le futur à ne plus causer de troubles inutiles à mes lecteurs ou à moi-même. Toutefois, quand il est question de vice et de personnages odieux, je maintiens qu’il vaut mieux les représenter comme ils sont vraiment et non comme ils voudraient eux-mêmes paraître. Peindre une mauvaise chose sous son jour le moins offensant est sans nul doute le parti le plus agréable à adopter pour un écrivain, mais est-ce le plus honnête, ou le plus sûr? Vaut-il mieux couvrir de branches et de fleurs les chausse-trappes de la vie ou les révéler au jeune et insouciant pèlerin ? Oh ! Lecteur, si l’on dissimulait moins délicatement les faits, si on ne marmonnait pas « Paix, paix » là où il n’y a en pas, les pêchés et de misères ne feraient pas leur lit au sein de notre jeunesse livrée de la sorte à la seule expérience pour acquérir une science amère. 

On ne me comprendrait pas bien en considérant comme un exemple répandu le terrible vaurien que je mets en scène, avec ses compagnons de débauche, dans ce roman. Son cas est extrême et je pensais que cela serait évident pour le lecteur. Toutefois, de tels personnages existent, et si j’ai empêché un jeune homme imprudent de suivre leurs pas ou une jeune femme irréfléchie de commettre les mêmes erreurs, au demeurant naturelles, que mon héroïne, ce roman n’aura pas été écrit en vain. En même temps, si d’honnêtes lecteurs doivent en retirer plus de peine que de plaisir, j’implore humblement leur pardon, telle n’était pas mon intention. La prochaine fois, je m’efforcerai de faire mieux, car j’aime procurer des joies innocentes. Mais qu'il soit clair que je n'y bornerai pas mon ambition ni à produire « une œuvre d’art parfaite » : que le temps et les talents soient ainsi employés, je les tiendrais pour gâchés et mal employés. Les dons modestes que Dieu m’a accordé, je m’évertuerai à les destiner aux fins les plus justes. Si je suis capable de distraire, j’essaierai de le faire, mais quand je jugerai de mon devoir de dire une vérité dérangeante, je suis absolument DÉCIDÉ, avec l’aide de Dieu, à la dire au prix du plaisir immédiat et de ma réputation. 

Un mot encore et j’en aurai fini. Au sujet de l’auteur lui-même de ce roman, je voudrais que l’on ne confonde plus Acton Bell avec Currer ou Ellis Bell, et qu’on n’attribue plus de la sorte à ces derniers les fautes du premier. Ensuite, qu’Acton Bell soit un pseudonyme ou non, cela ne présente pas un grand intérêt pour ceux qui connaissent seulement ses œuvres. De même est-il peu important à mon sens de savoir qu'Acton Bell soit un homme ou une femme comme un ou deux de mes critiques prétendent l’avoir deviné. Au demeurant, je considère cela comme un compliment pour la justesse des traits de mes personnages féminins. Bien que je sois enclin à faire de ce soupçon la cause principale de la sévérité de mes censeurs, je ne ferai nul effort pour les réfuter car, pour ma part, je suis content d’un livre pourvu qu'il soit bon quel que soit le sexe de son auteur. Tous les romans sont, ou devraient être, écrits pour les hommes et les femmes indistinctement. Je ne vois pas pourquoi un homme pourrait se permettre d'écrire des œuvres susceptibles de choquer une femme, et pourquoi une femme devrait s'interdire d'écrire des œuvres susceptibles de profiter à un homme. 

Le 22 juillet 1848 »

Un jour d'hiver à Scarborough

The Inn at Lambton, 6 mars 2014









 
Coucou, toi !


Hé bien ! Hé bien ! Il n'y a vraiment pas foule...

Ciel ! Qu'est-ce donc ? Un désespéré ? Que faire ?
 
Non ! L'eau l'a submergé !

Ah ! Un surfeur !

Ouf ! Parce que sinon sa vie aurait dépendu de moi seul !