Et son ombre recueille une sélection de textes sur les sœurs Brontë ainsi que sur quelques autres auteurs britanniques. Pratiquement tous proviennent du forum The Inn at Lambton. On peut considérer Et son ombre comme complémentaire au Wanderer of the Moors (site dédié entièrement aux sœurs Brontë) et à Passerelle (sur la littérature britannique en général). Par ailleurs, je tiens à m'excuser de la qualité pas toujours bonne des photographies que je propose de mes voyages en Angleterre, notamment dans le Yorkshire d’où étaient originaires les sœurs Brontë.

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The City of Dreadful Night de James Thomson

The Inn at Lambton, 26 février 2022

The City of Dreadful Night (paru en 1874) est une longue composition poétique (de plusieurs dizaines de pages) dont je n’ai pas trouvé trace de traduction en français, ce qui est fort regrettable en raison de sa beauté et de sa place comme l’une des œuvres les plus noires de l’histoire de la littérature britannique.

Dante est cité en épigraphe, cela nous annonce que nous allons faire une visite, non de l’enfer en l’occurrence, mais du désespoir absolu ressaisi dans une ville sans nom, la ville de l’épouvantable nuit.

Une nuit perpétuelle, des rues désertes illuminées par des lampadaires, des maisons et des immeubles plongés, eux, dans le noir et dans le silence (dissimulent-ils des habitants ? dorment-ils tous ? sont-ils seulement vivants ?). De temps à autre, l’on apercevra tout de même quelqu’un, le plus souvent un homme,  qui erre, renfermé dans son malheur (“wrapt in his own doom”), ou qui reste assis là, la tête pendante (“with heavy drooping head”).

Pour ceux-là, la ville d’une nuit perpétuelle est aussi la ville où jamais l’on n’arrive à s’endormir, où toujours l’on est travaillé, rongé par la souffrance, où l’on tourne en rond, mû par ce qu’il reste mécaniquement vivant de soi, entre les lieux qui ont vu mourir sa foi, son amour et son espoir (“Here Faith died… Here Love died… Here Hope died...”).

Le sentiment d’être broyé, la vanité de toutes choses, les illusions sur un autre monde  seront ressassés par le poète solitaire, dépourvu de Virgile, à quoi bon, tout au cours de ses déambulations sans but dans cette ville sinistre. Ici, comme comble au désespoir total, il entendra quelqu’un se plaignant à un autre de n’avoir pu accéder aux enfers, où au moins l’on se sent exister, faute d’un seul dernier espoir à abandonner. Là, au sein d’une cathédrale, ce sera un prêcheur qui, aux êtres en peine l’écoutant,  donne pour « bonne nouvelle » le sommeil sans plus jamais de réveil qui les attend.

Les diverses pièces qui structurent l’ouvrage de James Thompson sont si bien taillés dans les mots que l’on n’a aucune peine à les visualiser à la manière des gravures saisissantes que Gustave Doré réalisa à peu près à la même époque pour illustrer l’enfer imaginé par Dante (encore lui) ou montrer celui offert pour de vrai par Londres. Hélas, s’il faut se fier à ce dernier témoignage, des personnes qui erraient, renfermées dans leur malheur, ou restant assises là, la tête pendante, il n’était pas rare d’en voir alors, et pire même…

Pour l’amateur des classiques de la littérature victorienne, The City of Dreadful Night apparaitra singulier par son extrême noirceur – singulier et perturbant, ce qui rend ce poème doublement précieux, trop de happy-ends rendant somnolents, somnambules…
    
    “That City’s atmosphere is dark and dense
    Although not many exiles wander there,
    With many a potent evil influence,
    Each adding poison to the poisoned air,
    Infections of unutterable sadness,
    Infections of incalculable madness,
    Infections of incurable despair.”  

James Thomson : The City of Dreadful Night, 1874.