Et son ombre recueille une sélection de textes sur les sœurs Brontë ainsi que sur quelques autres auteurs britanniques. Pratiquement tous proviennent du forum The Inn at Lambton. On peut considérer Et son ombre comme complémentaire au Wanderer of the Moors (site dédié entièrement aux sœurs Brontë) et à Passerelle (sur la littérature britannique en général). Par ailleurs, je tiens à m'excuser de la qualité pas toujours bonne des photographies que je propose de mes voyages en Angleterre, notamment dans le Yorkshire d’où étaient originaires les sœurs Brontë.

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Une Chambre à soi

Pour bien comprendre la présentation suivante de l'essai de Virginia Woolf, publié en 1929, l’honnêteté veut que je ne passe pas complètement sous silence un mauvais souvenir lié à mon séjour à The Inn at Lambton.
 
Je me bornerai à en rapporter que j’avais eu le désir de discuter de Trois Guinées et du féminisme aujourd’hui, de manière tranquille, mais c'est revenu quand même à sortir un briquet de ma poche pour allumer une cigarette dans une pièce où il y avait une fuite de gaz.

J’ai encore le visage stupéfié et noirci de la déflagration que j’ai déclenchée et face à laquelle, il faut que je le confesse, je ne me suis pas du tout révélé un pompier valeureux.

Si l’auberge de Lambton est un forum dévolu aux romancières anglaises, le  fil  sur le féminisme se trouve à la section Autres passions, noyées entre des sujets comme le patinage, le thé et la cuisine.

Je comprends que l’on puisse avoir des réticences à voir se développer les débats sur la femme dans un lieu de détente comme l'est The Inn at Lambton. Toutefois, je pense que l’on y garde un peu trop dans le grenier un des thèmes principaux ayant occupé les romancières anglaises. Les robes d’antan peuvent susciter l’attrait par leur apparence, elles avaient l’inconvénient d’incommoder les mouvements, et quant au corset, de déformer les côtes : il faudrait, je crois, s’en souvenir un peu plus parfois...
 
The Inn at Lambton, 30 juillet 2013
 

AVERTISSEMENT AVANT DE FRAPPER À LA PORTE

Si certaines tombent sur ce message, elles ne manqueront pas d’être perplexes : lui, le voilà qu’il revient par la fenêtre ! Que dire ? J’aime Virginia Woolf au point de commettre peut-être une extravagance mal inspirée.

La différence d’avec du débat chaotique autour de Trois guinées est que je viens tout juste de finir un autre essai de Virginia Woolf où il est question de la condition féminine, Une chambre à soi, c’est on ne peut plus frais à ma mémoire, et j’ai jusqu’au 6 septembre pour le rendre à la bibliothèque. De plus, je crois avoir pris ma leçon après Trois guinées : j’admets avoir notamment manqué de clarté et de patience. Afin de prévenir de malencontreuses incompréhensions, je tiens à affirmer ceci : je n’ai nulle prétention quant à ce que j’ai retiré d’Une Chambre à soi; je ne suis pas certain de l’avoir bien compris de sorte que cela pourrait faire l’objet déjà d’une discussion, avant de s’employer à échanger sur son propos – ce qui implique certes de l’avoir lu – dans la tranquillité et l'ouverture idéalement. 

SUR LE SEUIL

Une chambre à soi fut initialement une conférence tenue par Virginia Woolf pour les étudiantes de Cambridge à la fin des années 20. S’il était prévu qu’elle s’exprima sur les femmes et le roman, elle ne se croyait pas capable de faire un exposé riche en enseignements, mais seulement sur « un point de détail : il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire une œuvre de fiction. »
 
Comme plus tard dans Trois guinées, Virginia Woolf développe de manière vivante sa pensée. En fait, c'est un récit de l’élaboration de celle-ci qu'elle offre avec ironie et fantaisie.
 
Sans renoncer en rien à la rigueur toutefois, Virginia Woolf montre dans son ouvrage comment les femmes s'étaient vues déniées jusqu'à un passé récent la faculté d’écrire au même titre que les hommes – sans parler d'en avoir seulement le loisir. Sur ce point, malgré l'évolution des mentalités, Virginia Woolf dénonce les préjugés qui persistaient encore en son temps.

Ainsi, ce n'était guère qu'une histoire brève de la littérature au féminin au sein du Royaume-Uni que l'on pouvait délivrer d'après Virginia Woolf. Brève et souvent décevante en raison du mépris des hommes et du manque d'instruction de la plupart des femmes ayant écrit.

De surcroît, Virginia Woolf considère que cette histoire a été marquée par le ressentiment des femmes écrivains à l'endroit de leur condition. À cet égard, pour Virginia Woolf, seules Jane Austen et Emily Brontë surent écrire « sans haine, sans amertume, sans récriminations, sans verser dans le sermon » ; autrement dit dans une liberté complète vis-à-vis de leur sexe à la différence notamment de Charlotte Brontë malgré son génie supérieur. (Personnellement, à la liste des auteures ayant écrit dans une totale indépendance d'esprit, j’ajouterai, avant le XXe siècle, Anne Brontë ; celle-ci le fit avec une fermeté dont sa préface à la seconde édition de La Locataire de Wildfell Hall témoigne éloquemment.)

Que les fans de Charlotte Brontë ne voient toutefois pas rouge à ce que Virginia Woolf déplore chez elle. Pour les femmes d’antan, écrire était faire face à des forces adverses terribles. (Pour Charlotte Brontë, elles le furent sans doute encore plus que pour d’autres. Je suis en train de lire l’essai paru il y a quelques années de Lucasta Miller, The Brontë Myth, qui donnerait des arguments aux vues de Virginia Woolf.) 

« Comment ne pas jouer un instant avec la pensée de ce qui aurait pu être, si Charlotte Brontë avait possédé, mettons trois cents livres de rente par an (…), si elle avait eu une plus grande connaissance du monde actif, des villes et des contrées pleines de vie, si elle avait eu plus d’expérience pratique et plus de commerce avec ses semblables, et connu une plus grande variété d’êtres humains ? » 

Jouir de la tranquillité, avoir reçu une éducation solide, avoir tâté de l'existence, ne pas vouloir écrire ni comme un homme ni comme une femme, mais seulement selon ses inclinations, tout cela était nécessaire pour Virginia Woolf à l'épanouissement d'une femme écrivain et d'un écrivain tout court. Sur ce dernier point, si elle voulait bien admettre que les sexes présentaient des prédispositions spécifiques, elle estimait que la part était pour chacun variable, voire inverse dans certains cas. 

« Il est beaucoup plus important d’être soi-même que quoi ce soit d’autre. « Ne songez pas à influencer les autres », voilà ce que j’aimerais vous dire si je savais comment donner à ces mots une sonorité exaltante. Pensez aux choses en elles-mêmes. » 

Cela sonne comme une entreprise des plus ingrates parfois. Comme on le voit, Une chambre à soi traite de la littérature féminine dans une perspective générale sur l’écriture : son propos sur la liberté, entendue comme celle de suivre ses penchants profonds à soi, se veut valable pour tous. Peut-être en guise d’exemple, Virginia Woolf s’exprime librement sur cette liberté d’une manière qui me semble tout à fait réussie : je serais ravi d’en discuter avec d’autres lecteurs ou lectrices de cet ouvrage.