Et son ombre recueille une sélection de textes sur les sœurs Brontë ainsi que sur quelques autres auteurs britanniques. Pratiquement tous proviennent du forum The Inn at Lambton. On peut considérer Et son ombre comme complémentaire au Wanderer of the Moors (site dédié entièrement aux sœurs Brontë) et à Passerelle (sur la littérature britannique en général). Par ailleurs, je tiens à m'excuser de la qualité pas toujours bonne des photographies que je propose de mes voyages en Angleterre, notamment dans le Yorkshire d’où étaient originaires les sœurs Brontë.

Affichage des articles dont le libellé est 01 - Charlotte. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est 01 - Charlotte. Afficher tous les articles

Charlotte Brontë et la question féminine

Charlotte Brontë (1816-1855) connut un succès foudroyant avec Jane Eyre (1847) dont quelques articles montreront l’empreinte en France. L’œuvre de Charlotte Brontë se compose également du Professeur (1857, posthume), Shirley (1849) et Villette (1853). Ses thèmes principaux sont l’amour, la solitude et la réalisation des femmes. Ayant été personnellement très marqué par Shirley, une rubrique à part lui est consacré dans ce recueil.    

Whoopsy-Daisy, 23 juin 2013

J’aime beaucoup ton approche de Jane Eyre. Je ne suis pas certain de comprendre ce que recouvre la notion de « proto-féminisme ». A l’époque de Charlotte Brontë, l'émancipation des femmes figurait au programme des « radicaux », regroupement minoritaire (face aux conservateurs et aux libéraux) inspiré par les idéaux de la Révolution française. Charlotte Brontë connaissait bien leurs idées grâce à son amitié, nouée à l'adolescence, avec Mary Taylor qui, comme les autres membres de sa famille, les défendait.  

Figure des plus intéressantes, Mary Taylor s'appliqua à vivre dans l'indépendance, son esprit aventurier la décidant même à émigrer en Nouvelle-Zélande où elle devait ouvrir une boutique prospère. Elle proposa du reste à Charlotte Brontë d'être du voyage, mais cette dernière, après avoir beaucoup hésité, ne put se résoudre à abandonner son père à la santé déclinante. 

Charlotte Brontë a mis en scène Mary Taylor et sa famille dans Shirley, son grand opus social où elle exprime une certaine défiance à l'égard du radicalisme et des idées extrémistes au sujet des femmes.  

Plutôt conservatrice, elle a cependant défendu dans toute son œuvre leur cause selon la Bible et le couple fondateur Adam et Ève.  

À ce titre, Charlotte Brontë admettait certes une certaine prééminence au premier – on peut remarquer combien ses héroïnes sont pleines du désir d'admirer un homme, les yeux brillants et les mains jointes sur le cœur ! (Gare inversement...) 

Pour Charlotte Brontë, le domaine domestique devait aussi rester le souci primordial des femmes comme elle l'a exprimé dans une lettre à Elizabeth Gaskell à la suite d'un article du couple Stuart-Mill revendiquant l'égalité entre les hommes et les femmes, y compris en matière professionnelle. 

Ceci étant dit, Charlotte Brontë n'excluait pas les femmes de la parabole des talents. Pour elle, les femmes possédaient des facultés allant au-delà des soins à assurer au sein d'un foyer, facultés que les hommes devaient reconnaître. Dans Le Professeur et Villette en particulier, on voit ainsi un enseignant remarquer les capacités d'une collègue aux attributions médiocres et prendre à cœur leur développement. À la fin du Professeur, William Crimsworth y a tant réussi que c'est Frances Henri qui donne un nouveau tournant à leur destin commun.  

De la sorte, si Charlotte Brontë croyait qu'Ève était issue du flanc d'Adam, ce n'était pas dans l'idée que celle-ci soit un âne de bat, mais plutôt une véritable compagne digne de respect et d'écoute.

Le Refuge d'André Theuriet

(À la suite de remerciements pour avoir montré quelques pages du programme de l'adaptation théâtrale de Jane Eyre proposé par Fay Weldon en 1986.)

The Inn at Lambton, 12 avril 2014

Merci, merci, c’est gentil ! Vos réactions révèlent à nouveau que Jane Eyre compte toujours de nombreuses admiratrices ! À ce sujet, j'ai envie aujourd'hui de vous faire découvrir une jeune fille d’antan se laissant aller à rêvasser sur une chaise, le roman de Charlotte Brontë sur ses genoux, telle qu'André Theuriet l'a mise en scène en 1898 dans Le Refuge :   


a joui jadis d'une célébrité méritée et qui passionne encore aujourd'hui bien des imaginations de jeunes filles.

Jane Eyre plaisait à Mlle de Louëssart, parce qu'elle y trouvait certaines analogies entre sa propre situation et celle de l'héroïne du roman. Non pas qu'elle se jugeât physiquement ou moralement semblable à la pâle et énergique institutrice de Lowood, mais parce que leurs conditions d'existence et leurs secrètes aspirations étaient de même nature. Comme Jane, Catherine se sentait pauvre, négligée, presque abandonnée à elle-même, condamnée à une obscure vie d'isolement et de monotonie, et, comme Jane, elle était tourmentée du désir d'aimer et de se dévouer. Elle ne se faisait aucune illusion sur ses chances d'avenir fille sans dot, ayant un père tel que le sien, cloîtrée dans un hameau perdu au fond des bois, elle ne pouvait guère songer à se marier selon son cœur, et cependant elle avait horreur de devenir vieille fille. A vingt ans on espère contre toute espérance et bien des fois, comme Jane Eyre sur le chemin de Hay, elle s'était arrêtée à la lisière de la forêt pour y attendre le chimérique passage du « fils du roi » de ses rêves. Au fond, elle ne tenait pas au « fils du roi»; elle demandait seulement à « l'inconnu » d'être un gentleman comme Rochester. Fût-il même plus vieux, plus laid, plus malheureux que l'ami de Jane Eyre, elle était prête à s'attacher à lui, à le consoler, à trouver ainsi dans la joie de se dévouer une sorte de mirage de l'amour… Mais parmi les verts sentiers de la forêt, elle n'avait jusqu'alors rencontré que des brioleurs avec leur file de mulets et des bûcherons regagnant la coupe. Le fils du Roi ni même Rochester ne s'étaient montrés, et elle attendait toujours.

Sa lecture l'avait rendue rêveuse ; elle déposa le livre sur ses genoux et ses regards mélancoliques se tournèrent vers les prochaines futaies, dont elle apercevait la jeune verdure à travers la bruine. Fine, pénétrante et subtile, la senteur des muguets, éparse dans l'étroite salle à manger, faisait monter jusqu'à elle ses plus suaves haleines. Cette suggestive bouffée printanière ramena ses yeux vers le bouquet posé sur la table. Elle revit la combe foisonnante de fleurs, le sentier sinueux descendant vers la source en même temps l'image de M. de Lochères s'évoqua dans son cerveau et, tout naturellement, s'associa à celle du Rochester de Jane Eyre. Un sourire vite réprimé effleura sa bouche espiègle, puis elle haussa brusquement les épaules. Ses lèvres redevinrent sérieuses et un pli méditatif raya la lisse blancheur de son front.

Assurément, Vital ressemblait par certains points à Rochester. Lui aussi, semblait avoir eu peu à se louer de la vie. Il était plus vieux que le maître de Thornfield, mais il n'était pas laid. Ses traits fatigués, battus par une mystérieuse tourmente, avaient gardé un reflet de la beauté de sa jeunesse. En fermant les yeux, Catherine se remémorait avec une surprenante netteté les épaules robustes du propriétaire de la Harazée, sa tournure jadis svelte et maintenant alourdie par un commencement d'embonpoint; son teint pâli, sa bouche chagrine sous la barbe grisonnante, ses paupières fanées, mais s'ouvrant sur des prunelles d'un bleu caressant. Comme Rochester, il vivait isolé dans son manoir de la Harazée et n'y retrouvait sans doute que de maussades souvenirs.

Par une lente assimilation, la figure du héros de son livre anglais et celle de M. de Lochères finissaient par se confondre dans l'esprit de Catherine. Elle se laissait alors doucement glisser sur la pente des romanesques suppositions, et se demandait de quelle façon elle agirait si, comme Rochester à Jane Eyre, Vital lui disait un jour : « Je vous offre ma main et mon cœur… » Assurément, ni les paroles ni les actes de M. de Lochères n'autorisaient Mlle de Louëssart à présumer d'aussi hasardeuses intentions. Au contraire, l'attitude de Vital pendant tout l'hiver indiquait plutôt un sentiment de méfiance. Et pourtant un subtil instinct féminin insinuait à la jeune fille que le maître de la Harazée ne la regardait pas d'un œil indifférent...

L'Orpheline d'Alexandre Dumas

The Inn at Lambton, 14 mai 2014

Si André Theuriet n'est pas passé à la postérité (cf même rubrique), un autre auteur français toujours illustre pour sa part avait déjà été inspiré par Jane Eyre quelques décennies avant lui : Alexandre Dumas. 

En 1858 en effet, ce dernier entreprit d'offrir une adaptation théâtrale du roman de Charlotte Brontë. Cette adaptation n'est pas restée dans les mémoires et pour cause puisque L'Orpheline, après avoir commencé sa brève carrière par une annulation en catastrophe de sa première (prévue exceptionnellement à Marseille et non à Paris), l'a fini par une disparition des plus ténébreuses – par là nous voulons dire qu'aucune copie de la pièce n'a tout bonnement subsisté. 

Dans un chapitre de Bric-à-brac, Alexandre Dumas a fait un récit amusant de l'annulation de L'Orpheline et de ses suites qui le virent écrire une nouvelle pièce en huit jours seulement.

Toutefois, au fil de mes recherches, je suis tombé sur un article, paru dans Le Figaro en 1872, où Hippolyte de Villemessant, directeur alors du vénérable quotidien, remit en cause la véracité de l'exploit prétendument accompli par Alexandre Dumas. 

Comme toute cette affaire autour de l'héroïne innocente de Charlotte Brontë lors de son séjour sur le Vieux-Port est des plus singulière, voici une reproduction partielle de cet article :    

« MÉMOIRES D'UN JOURNALISTE – DUMAS – SUITE 

(…) Sur le tard, alors que l'imagination devenait paresseuse, Dumas, qui ne voulait pas vieillir, signa de son grand nom tout ce qui lui tombait sous la main. En une heure, d'un roman allemand il faisait une pièce, et d'un drame anglais un feuilleton parisien. C'est ainsi qu'en un jour de disette, il fit un roman, Catherine Blum avec un drame d'Iffland, les Gardes forestiers; puis, le roman fait, il composa un drame, ou plutôt il remania, en vue du public français, la pièce allemande où il avait puisé son roman. Il mettait tout son amour-propre à soutenir sa vieille réputation d'improvisateur; une anecdote prouvera à quels expédients il eut recours à l'occasion. 

Un autre allemand avait fait une pièce avec Jane Eyre, l'intéressant roman de Currer Bill [sic]. Dumas, lui aussi, avait eu l'intention de faire un drame de ce livre, mais à la fin il se contenta de remanier la pièce allemande. Jenneval, se trouvant alors en représentation à Marseille, écrivit au maître pour lui demander, au nom du directeur, une pièce inédite.

— Je demande huit jours pour écrire le drame le plus émouvant que j'aie fait, répondit-il. 

Une semaine après, Dumas était à Marseille il convoqua les artistes pour la lecture. Après le premier acte, Jenneval prit Dumas sous le bras, l'entraîna loin des autres artistes et lui dit : 

— Cher maître, je ne vous cacherai, pas que j'ai déjà joué ce rôle à Bruxelles, où la pièce allemande a été traduite il y a trois ou quatre ans. 

— Ah bah ! fit Dumas, qui avait déjà oublié la source de son ouvrage. Eh bien ! mon cher Jenneval, vous venez de condamner Jane Eyre à mort; mais, depuis longtemps, je pense à un autre drame très saisissant. Je vous demande huit jours pour l'écrire. 

Le lendemain, les journaux de Marseille annoncèrent que le grand, l'illustre Dumas s'était enfermé dans sa chambre pour écrire un drame inédit, qu'il lirait avant huit jours aux acteurs. En effet, Alexandre Dumas avait donné l'ordre que sous aucun prétexte on ne vînt le déranger. Mais, au lieu d'écrire le drame en question, il adressa tout simplement à son secrétaire le billet forme roman que voici: 

« Cher enfant, 

Au reçu de cette lettre, montez au premier étage du pavillon au fond du jardin. 

À cet étage, il y a deux pièces l'une grande, l'autre petite. 

Entrez dans la petite. 

Vous y verrez trois tables : l'une en chêne, la seconde en noyer, la troisième en palissandre. 

Dans la table en noyer, il y a un tiroir de chaque côté : ouvrez celui de droite. 

Vous y trouverez un drame en cinq actes, intitulé les Gardes forestiers

Muni de ce drame, vous vous mettrez en route pour Marseille, où je vous attends immédiatement.

Pas un mot de tout ceci, ni à Paris ni ailleurs. 
                                                                                         A. DUMAS. » 

Le secrétaire suivit à la lettre ces instructions, et, quelques jours après, on lut dans les journaux de Marseille : 

« On sait que M. Alexandre Dumas avait demandé huit jours pour écrire un drame inédit pour la scène du Gymnase, et dans nos cercles on faisait de nombreux paris pour ou contre la réussite de ce tour de force. Il semblait impossible qu'un auteur dramatique pût, en une semaine, écrire une pièce en cinq actes; et quoi qu'on ait raconté de la merveilleuse fécondité d'Alexandre Dumas, il était permis de penser qu'un si court délai ne suffirait pas au plus brillant des improvisateurs pour remplir sa promesse. Eh bien il y a aujourd'hui tout juste cinq jours qu'Alexandre Dumas s'est enfermé dans sa chambre, et il vient de faire prévenir le directeur que, dès demain, il sera prêt à lire son nouveau drame aux acteurs. » 

En effet, le lendemain Dumas lut les Gardes forestiers, que le fidèle secrétaire venait d'apporter de Paris. 

 * 
 
Les besoins d'argent étaient pour beaucoup dans ces supercheries, que l'on peut bien pardonner à ce prodigieux travailleur… »

Vie vide

(En réaction à un avis sur Villette, le dernier roman de Charlotte Brontë, mais là encore j'ai remanié profondément mon texte original pour ce recueil.) 

The Inn at Lambton, 2 juin 2014   

Certes, Jane Eyre est « lumineux » là où Villette est sombre. En fait, tous les romans de Charlotte Brontë partagent les mêmes thèmes, notamment le désir et la réalisation de soi, qui sont traités de façon variée selon le moral de l'auteur face à l'évolution de sa propre existence – du moins est-ce mon impression.

À cet égard, on pourrait considérer Jane Eyre comme un roman fantasmatique, une rêverie à laquelle Charlotte Brontë aurait laissé libre-cours si bien que ses désirs inconscients, avec leur part inquiète, y auraient trouvé un canal par lequel s'extérioriser.

En fait, il serait peut-être plus juste de parler de rêverie méditative parce que Charlotte Brontë affirmerait son désir tout en l'interrogeant.
 
Ainsi, ce serait pourquoi son roman est empreint de fantastique et de gothique. Si dans l'ordre du monde physique, l'appel télépathique de Rochester est surnaturel, d'un point de vue fantasmatique, il ne serait que l'expression du désir viscéral d'être aimé.

Je ne sais où au juste, D.H. Lawrence a qualifié Charlotte Brontë de « pornographer ». Peut-être, mais alors d'un imaginaire féminin marqué par le refus d'être un objet.

Tous les romans de Charlotte Brontë contiendraient une part fantasmatique, y compris Villette, même si ce serait de manière désenchantée, résignée face à un monde frustrant.

Le début du roman est terrible. Pour ma part, j’ai trouvé presque insupportable la souffrance d'exister à peine qui est exprimée. On croirait entendre la voix d'une ombre, d'un être qui n'est qu'un regard au point de se sentir obligé à un moment de rappeler au lecteur son nom :
« I, Lucy Snowe…»

J'ai fini même par songer à L’Étranger d’Albert Camus tant Lucy Snowe paraît coupée de ce qui l’entoure, décollée comme une affiche sur un mur, une vignette sur une feuille.

Aussi, comme personne ne l’appelle à exister, c'est Lucy Snowe qui décide de prendre la vie en main, embarquant pour le continent sur un navire dont j'ai trouvé le nom curieux : Vivid.

Hum... À cet instant même, j'en viens à me demander si Vivid ne serait pas à comprendre, non en anglais par « vif, frappant », mais en français par « vie vide » ! Charlotte Brontë maîtrisait en effet le français dont Villette est beaucoup émaillé.

À cet égard, il est tentant aussi de comprendre Jane Eyre par « Jane erre », Jane qui erre dans une vie vide, expliquant pourquoi Charlotte Brontë aurait rempli des pages blanches de tant de rêves intenses, certes vivid !

Je peux me tromper sur la signification véritable de Vivid et Jane Eyre, mais de toute façon Charlotte Brontë aime à jouer avec les noms de famille ou de lieux comme beaucoup d'autres au demeurant dans la littérature britannique, à commencer au sein de sa propre famille.

Mais on pourrait dire (et elle n'est donc pas la seule dans cette immense palais de miroirs que constitue la littérature britannique) qu'elle joue avec le réel et l'intériorité de la même manière, les entremêlant dans un même univers sur la page blanche.

Dans Jane Eyre comme dans Villette, Charlotte Brontë procéderait même à une véritable fusion des deux ordres. Mais si, dans Jane Eyre, Charlotte Brontë emporte le lecteur dans un tourbillon de désir, dans Villette, ce serait plutôt pour le faire patauger dans une mare de ressassement. 

D'un point de vue intime, Villette donne en effet le sentiment d'une rétrospection opérée par Charlotte Brontë sur sa vie depuis son séjour en pension à Bruxelles quelques années auparavant. [I] 

Au cours de ce séjour, elle éprouva une grande attraction pour le professeur Heger, époux de la directrice de son établissement. 

Charlotte Brontë elle-même n'a pas caché s'être inspiré du couple Heger pour Villette (comme auparavant pour Le Professeur) ainsi que d'autres personnes de son entourage connues plus tard, notamment son éditeur londonien et sa famille. 

Or, Lucy Snowe, qui vient s'établir à Villette, y retrouvent toutes les personnes qu'elle connaissait à Londres dans une série de coïncidences. On peut du reste trouver celle-ci invraisemblable et dommageable pour le roman. Charlotte lui eut donné assurément un tour moins forcé si elle avait situé les événements à Paris (qu'elle eut bien pu affubler du nom d'Hydreville, capitale de la République de Gallégeade). 

Dans le microcosme de Villette, il y aurait de quoi voir la projection d'une détresse profonde, celle dans laquelle serait tombé Charlotte Brontë alors qu'elle vivait seule avec son père malade depuis la mort de ses sœurs et de son frère. 

Qu'est-ce que représentait pour elle le succès au quotidien ? Un mois à Londres, onze coincée plus ou moins à Haworth. Si Charlotte Brontë prétendait se résigner à son sort comme voulu par Dieu, dans son roman, Lucy Snowe, elle, ne dissimule pas ses gémissements. 

L'on sait que la rédaction de Villette a été particulièrement longue et difficile. Si Charlotte y a repris la trame de son premier roman, Le Professeur (non publié alors), le ton n'est en tous les cas plus à l'optimisme. 

Certes, comme William Crimsworth pour Frances Henri, Rochester pour Jane Eyre, Robert Moore pour Caroline Helstone (Shirley), un homme se prend d'intérêt et d'affection pour Lucy Snowe. Mais dès le premier regard sur elle, Paul Emmanuel (inspiré par le professeur Heger) témoigne de rudesse. Il ne manque pas non plus parfois de ridicule avec son bonnet et ses vanités au contraire du gentleman qu'est le docteur John Graham (inspiré par l'éditeur de Charlotte Brontë) qui séduit Lucy Snowe même si elle observe avec ironie ses limites et son souci de respectabilité. 

Il n'en reste pas moins que Paul Emmanuel et Lucy Snowe, qui ne cache pas ses propres travers, développent un amour authentique, peut-être comme Charlotte Brontë eut aimé le connaître avec le professeur Heger s'il n'avait été marié à une épouse croquée avec aigreur (sous les traits de Madame Beck) – comme déjà dans Le Professeur

Così la nave va... 

I : Charlotte passa deux années à Bruxelles. Elle avait 28 ans lorsqu'elle entra au sein de la pension Heger en compagnie d'Emily (dont le séjour ne durera que quelques mois pour sa part) dans le but, pour les deux sœurs, de parfaire leurs aptitudes, notamment en français, alors qu'elles nourrissaient avec Anne le projet d'ouvrir une école dans leur pays natal.

Liste de mariage

The Inn at Lambton, 2 juin 2015

Sur ce fil (et ailleurs), j'ai voulu faire partager quelques-unes de mes découvertes concernant la longue histoire des sœurs Brontë en France. En voici une autre avec une souscription, parue dans le quotidien Le Gaulois en 1924, pour réaliser une édition des plus luxueuses de Jane Eyre. Je suppose que ce projet est à rapporter au retour en vogue des sœurs Brontë dans notre pays après le succès de la deuxième traduction des Hauts de Hurlevent en 1925 (cf. Shirley par Eugène Forcade).

A vot’ bon cœur donc, c’est pour le trousseau d’une gouvernante qui va se marier (enfin) avec le patron :

EN SOUSCRIPTION

Jane Eyre par Charlotte Brontë (Currer Bell).Un volume grand in-4° Jésus imprimé dans la langue anglaise. Tirage 495 ex. sur vélin la cuve des papeteries d'Arches au filigrane Jane Eyre, à savoir 15 ex. contenant chacun 17 lithographies originales par ETHEL GABAIN et un tirage spécial de ces mêmes lithographies, augmenté de 5 épreuve supplémentaires, imprimées par l'artiste elle-même et signées, broché : 2,000 francs ; le même exemplaire relié en maroquin plein, reliure à trois filet sur les plats, tête dorée, gardes soie : 2,550 francs; 460 ex. contenant chacun une suite des 17 lithographies de ETHEL GABAIN : 650 francs, et relié en maroquin plein avec trois filets sur les plats, tête dorée, gardes soie : 1,200 francs.

Les exemplaires brochés sont livrés dans un étui et les exemplaires reliés dans un étui molletonné assorti la nuance de la reliure, soit grenat, violet, panne, chamois ou bleu.

Je ne sais si cette souscription engrangea assez de fonds. Que l'on songe au prix du Gaulois à ce moment-là qui était de 20 centimes... 
    
(Note postérieure : D'après des recherches de S..., l'ouvrage vit le jour.)