The Inn at Lambton, 19 juin 2014
J’ai découvert en effet l’existence d’un ouvrage mettant certaines nouvelles de Katherine Mansfield à la sauce zombie. En fait, au début, ne jetant qu'un coup d’œil à sa présentation sur le site de l'éditeur, j'ai cru qu'il s'agissait de récits fantastiques écrits par Katherine Mansfield dans sa jeunesse et restés inédits. Que l'on me trouve stupide, c'est seulement quand j'ai voulu en faire commande que j'ai enfin compris de quoi il retournait. Si je connaissais les productions horrifiques ou érotiques basées sur les sœurs Brontë et Jane Austen, je ne m’attendais vraiment pas à ce qu'un auteur moins populaire comme Katherine Mansfield puisse en faire l'objet.
De façon générale, je suis choqué par toutes ces adaptations de classiques selon les goûts ou les impératifs politiques du jour. Même la personne et la vie d'un écrivain célèbre peuvent donner lieu à de telles opérations de réaffectation culturelle et sociale comme Becoming Jane ou Miss Austen Regrets en témoignent en prêtant à celle à qui l'on doit Respect & Exploitation, pardon, Sense & Sensibility, des traits de caractère ou des amours qu'elle n'a pas eues.
Il est possible que ce genre d'entreprises ne relève pas toujours d'un esprit commercial cynique, mais du désir de donner libre-cours à sa fantaisie. Il n'en resterait pas moins, hélas, que ce serait en général de façon peu heureuse et digne.
Pour revenir à Katherine Mansfield, l'éditeur de Mansfield with Monsters offre sur son site de découvrir, à qui n'est pas dégoûté d'avance, un échantillon gratuit (avec Miss Brill) de la version scolaire de l'ouvrage (ou comment tenter, je suppose, de refourguer quelques centaines d'exemplaires à bon compte... – soupir). La différence avec la version destinée au grand public tient dans le fait de proposer les nouvelles originales de Katherine Mansfield et, à la suite de leur revisitation gore, des questions posées aux élèves.
Dans leur introduction, Matt et Debbie Cowens se justifient en prétendant que les nouvelles de Katherine Mansfield dégagent une ambiance gothique qu'ils ont désiré faire ressortir. Que répondre à un tel argument ? Le gothique étant ancien dans la littérature britannique, si Katherine Mansfield avait désiré en faire, que voulez-vous que je vous dise, elle en aurait fait elle-même, non ?
Au vrai, on peut ressentir un vague sursaut d'embarras inconscient chez Matt et Debbie Cowens quand ils se prévalent du fait que, de toute façon, l’œuvre de Katherine Mansfield est tombée dans le domaine public de sorte que l'on peut librement « utiliser ses mots et ses idées comme source d’inspiration ».
C'est ça, et pourquoi ne pas pouvoir déterrer son cadavre à Fontainebleau pour animer les soirées d'Halloweens à Wellington ?
Et tous ces sophismes pour doter finalement Miss Brill d’un mari zombie qu'elle emmène de temps en temps « chuckler » à des concerts du dimanche. Si Miss Brill est un des grands classiques de Katherine Mansfield, son adaptation par Matt et Debbie Cowens ne tient que de la série Z tant elle est paresseuse, facile, mécanique. Les questions profondes destinées aux écoliers à la suite de cette triste parodie le font d'autant plus ressortir pour le coup :
“DISCUSSION QUESTIONS
– Miss Brill deals with the idea of loneliness, and the power of imagination to connect people to the world around them. How does Mansfield develop the fragile nature of this idea? (Miss Brill traite de la solitude et du pouvoir de l'imagination pour se donner l'impression d'être liée aux autres. Comment Mansfield développe-t-elle la nature fragile de cette idée ?)
– In the original story, Miss Brill’s feelings of mortification and shame arise from the cruel comment of others. In the adaptation, her sense of humiliation arises from the actions of her zombie husband (and her own failure to stop him). How does this change in the story affect the extent to which we empathise with her dejection at the end? (Dans l'histoire originale, la mortification et la honte qui saisissent Miss Brill sont provoquées par les commentaires cruels des autres à son sujet. Dans l'adaptation, son sentiment d'humiliation provient des agissements de son mari zombie (et de son incapacité à le faire cesser). Comment cette modification affecte-t-elle notre sympathie pour son rejet à la fin ?)
– What does that adapted version say about the danger of being judgemental? The pain of loneliness? The way people lie to themselves? (Qu'est-ce que l'adaptation nous apprend à propos du fait de juger les autres de façon dédaigneuse ? Du sentiment de solitude ? De la manière de se mentir à soi-même ?)”
Mansfield with Monsters a reçu de multiples louanges (mais pas unanimes heureusement) au sein de la presse néo-zélandaise comme de la part de la Katherine Mansfield Society elle-même. Frissons – « Gardez-moi de mes amis... »
Pour ma part, l'adaptation de Miss Brill ne m'a certes pas donné envie d'en lire davantage, son exemple confortant plus que jamais mon idée que toucher à une œuvre, c'est toucher à quelque chose qui possède son intégrité : la parole de quelqu’un. Ce n’est pas parce qu’elle est figée en une suite de lettres sur du papier qu’on peut de manière inoffensive faire des coupes ici, ajouter des mots là, car c'est un peu l'âme de l'auteur que l'on tripatouille ainsi.
Et je songe encore à Jane Austen. Les années n'y font rien, je demeure capable de souffler et pester pendant des heures devant le libidinage éhonté auquel beaucoup se livrent à son endroit en prétendant ou en croyant sincèrement l'honorer de surcroît.
Quel mauvais exemple donné !
Matt & Debbie Cowens : Katherine Mansfield with Monsters, Steam Press, 2013.

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