Et son ombre recueille une sélection de textes sur les sœurs Brontë ainsi que sur quelques autres auteurs britanniques. Pratiquement tous proviennent du forum The Inn at Lambton. On peut considérer Et son ombre comme complémentaire au Wanderer of the Moors (site dédié entièrement aux sœurs Brontë) et à Passerelle (sur la littérature britannique en général). Par ailleurs, je tiens à m'excuser de la qualité pas toujours bonne des photographies que je propose de mes voyages en Angleterre, notamment dans le Yorkshire d’où étaient originaires les sœurs Brontë.

L'Orpheline d'Alexandre Dumas

The Inn at Lambton, 14 mai 2014

Si André Theuriet n'est pas passé à la postérité (cf même rubrique), un autre auteur français toujours illustre pour sa part avait déjà été inspiré par Jane Eyre quelques décennies avant lui : Alexandre Dumas. 

En 1858 en effet, ce dernier entreprit d'offrir une adaptation théâtrale du roman de Charlotte Brontë. Cette adaptation n'est pas restée dans les mémoires et pour cause puisque L'Orpheline, après avoir commencé sa brève carrière par une annulation en catastrophe de sa première (prévue exceptionnellement à Marseille et non à Paris), l'a fini par une disparition des plus ténébreuses – par là nous voulons dire qu'aucune copie de la pièce n'a tout bonnement subsisté. 

Dans un chapitre de Bric-à-brac, Alexandre Dumas a fait un récit amusant de l'annulation de L'Orpheline et de ses suites qui le virent écrire une nouvelle pièce en huit jours seulement.

Toutefois, au fil de mes recherches, je suis tombé sur un article, paru dans Le Figaro en 1872, où Hippolyte de Villemessant, directeur alors du vénérable quotidien, remit en cause la véracité de l'exploit prétendument accompli par Alexandre Dumas. 

Comme toute cette affaire autour de l'héroïne innocente de Charlotte Brontë lors de son séjour sur le Vieux-Port est des plus singulière, voici une reproduction partielle de cet article :    

« MÉMOIRES D'UN JOURNALISTE – DUMAS – SUITE 

(…) Sur le tard, alors que l'imagination devenait paresseuse, Dumas, qui ne voulait pas vieillir, signa de son grand nom tout ce qui lui tombait sous la main. En une heure, d'un roman allemand il faisait une pièce, et d'un drame anglais un feuilleton parisien. C'est ainsi qu'en un jour de disette, il fit un roman, Catherine Blum avec un drame d'Iffland, les Gardes forestiers; puis, le roman fait, il composa un drame, ou plutôt il remania, en vue du public français, la pièce allemande où il avait puisé son roman. Il mettait tout son amour-propre à soutenir sa vieille réputation d'improvisateur; une anecdote prouvera à quels expédients il eut recours à l'occasion. 

Un autre allemand avait fait une pièce avec Jane Eyre, l'intéressant roman de Currer Bill [sic]. Dumas, lui aussi, avait eu l'intention de faire un drame de ce livre, mais à la fin il se contenta de remanier la pièce allemande. Jenneval, se trouvant alors en représentation à Marseille, écrivit au maître pour lui demander, au nom du directeur, une pièce inédite.

— Je demande huit jours pour écrire le drame le plus émouvant que j'aie fait, répondit-il. 

Une semaine après, Dumas était à Marseille il convoqua les artistes pour la lecture. Après le premier acte, Jenneval prit Dumas sous le bras, l'entraîna loin des autres artistes et lui dit : 

— Cher maître, je ne vous cacherai, pas que j'ai déjà joué ce rôle à Bruxelles, où la pièce allemande a été traduite il y a trois ou quatre ans. 

— Ah bah ! fit Dumas, qui avait déjà oublié la source de son ouvrage. Eh bien ! mon cher Jenneval, vous venez de condamner Jane Eyre à mort; mais, depuis longtemps, je pense à un autre drame très saisissant. Je vous demande huit jours pour l'écrire. 

Le lendemain, les journaux de Marseille annoncèrent que le grand, l'illustre Dumas s'était enfermé dans sa chambre pour écrire un drame inédit, qu'il lirait avant huit jours aux acteurs. En effet, Alexandre Dumas avait donné l'ordre que sous aucun prétexte on ne vînt le déranger. Mais, au lieu d'écrire le drame en question, il adressa tout simplement à son secrétaire le billet forme roman que voici: 

« Cher enfant, 

Au reçu de cette lettre, montez au premier étage du pavillon au fond du jardin. 

À cet étage, il y a deux pièces l'une grande, l'autre petite. 

Entrez dans la petite. 

Vous y verrez trois tables : l'une en chêne, la seconde en noyer, la troisième en palissandre. 

Dans la table en noyer, il y a un tiroir de chaque côté : ouvrez celui de droite. 

Vous y trouverez un drame en cinq actes, intitulé les Gardes forestiers

Muni de ce drame, vous vous mettrez en route pour Marseille, où je vous attends immédiatement.

Pas un mot de tout ceci, ni à Paris ni ailleurs. 
                                                                                         A. DUMAS. » 

Le secrétaire suivit à la lettre ces instructions, et, quelques jours après, on lut dans les journaux de Marseille : 

« On sait que M. Alexandre Dumas avait demandé huit jours pour écrire un drame inédit pour la scène du Gymnase, et dans nos cercles on faisait de nombreux paris pour ou contre la réussite de ce tour de force. Il semblait impossible qu'un auteur dramatique pût, en une semaine, écrire une pièce en cinq actes; et quoi qu'on ait raconté de la merveilleuse fécondité d'Alexandre Dumas, il était permis de penser qu'un si court délai ne suffirait pas au plus brillant des improvisateurs pour remplir sa promesse. Eh bien il y a aujourd'hui tout juste cinq jours qu'Alexandre Dumas s'est enfermé dans sa chambre, et il vient de faire prévenir le directeur que, dès demain, il sera prêt à lire son nouveau drame aux acteurs. » 

En effet, le lendemain Dumas lut les Gardes forestiers, que le fidèle secrétaire venait d'apporter de Paris. 

 * 
 
Les besoins d'argent étaient pour beaucoup dans ces supercheries, que l'on peut bien pardonner à ce prodigieux travailleur… »

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